Derrière l’agression : la peur et l’hyper-sensibilité

Jeudi dernier il s’est passé quelque chose de vraiment extraordinaire à l’école…

(quelle phrase d’accroche ! on dirait un de ces articles à la mode qui font le buzz : « ce que je vais vous raconter va vous sembler totalement incroyable… ! » ;))

J’aurais du (si j’avais pu…) en faire un article immédiatement, pour poser avec des mots plein d’émotions ce qu’on a vu se passer pendant + d’1h, en salle du Conseil de Justice.

Cette histoire se passe en 2 temps : les faits puis l’histoire derrière l’histoire.

Les faits :

Jeudi matin le Conseil de Justice devait gérer un cas difficile : un élève qui s’est, à 2 reprises les jours précédents, exprimé avec violence au sein de l’école, face à 2 membres adultes du staff.

La première fois, l’élève était mécontent d’une décision du CJ qui impliquait une interdiction contre toute l’école. Il a pris à parti un membre du staff (staff #1) pour faire part de son incompréhension de façon particulièrement véhémente, mêlant façon de parler plutôt agressive et grands gestes. La seconde fois, le lendemain, l’élève s’en est pris cette fois directement, et avec colère, au staff #2, pour un « mot de travers ». Dans les 2 cas, les membres de l’équipe se sont sentis vraiment agressés verbalement, générant un sentiment de peur.

Jeudi matin, le CJ se devait de régler ces 2 agressions. Les choses devaient être dites, posées. Les 2 staffs ont arrivés avec la volonté nette de proposer une suspension, tant le sentiment d’agression était violent et surtout inadmissible dans notre école !

Mais les choses ont tourné plutôt différemment…

L’élève a pris la parole en premier et s’est excusé auprès du staff #1, en expliquant qu’il n’avait pas du tout l’intention de l’agresser et qu’il ne s’était pas rendu du ton employé. Son ton était cette fois très posé, on sentait l’émotion poindre derrière les mots.

Puis, très rapidement, chacun s’est ouvert à l’autre. Dans cette petite salle, les membres de l’école présents, élèves et adultes, ont commencé à parler, avec souvent beaucoup d’émotion, de leurs sentiments, de leurs ressentis. Au fil des discussions, ça devenait une évidence : chacun était là pour écouter, pour s’ouvrir, pour avancer. Chacun a pu, face à la bienveillance de tous, baisser les armes et chercher à comprendre l’autre.

Au bout d’une heure de discussion autour de la violence et des émotions, une chose était claire : si le Conseil de Justice est là pour « réparer » une règle transgressée et si les 2 staffs concernés étaient arrivés ce jour là avec la ferme intention de demander une suspension, cette « sanction » n’avait plus de sens !

Le staff #1 a proposé cette idée en premier : à quoi bon une sanction et encore + une suspension, lorsque les mots ont été posés, lorsque l’on est certain que les choses ont été comprises et intégrées et que la faute a été « réparée » par les mots ?

Ecole dynamique-2

L’histoire derrière l’histoire :

Je suis le staff #1. C’est moi qui me suis sentie la 1ère totalement agressée par le ton employé devant moi par cet élève. C’est moi qui réclamais suspension. Et finalement c’est moi qui ai fini, après 1h de discussion intense et émotionnellement très chargée, par proposer une « non-sanction », tant les paroles avaient été apaisantes et réparatrices. Et surtout éclairantes.

J’ai compris que mon hyper sensibilité, agressée par cet élève, était la même hyper-sensibilité que la sienne, puisqu’il s’était lui aussi senti agressé, à sa manière. Et que font les hyper-sensibilités lorsqu’elles sont agressées ? Elles fuient, ou elles agressent.

En tout cas tant que la parole n’a pas sa place.

Il y a 2 ans, alors que j’étais AVS depuis peu dans un lycée, je me suis un jour vue, reconnue dans toutes ces lycéennes de 16 ans, au même âge qu’elles. Dans toutes ces lycéennes il y en avait peut-être une comme celle que j’étais : une ado victime d’une tragédie silencieuse et muette, une ado commençant à s’emmurer vivante, pour 8 futures longues années, dans la spirale infernale de la violence conjugale. Alors il y a 2 ans je suis allée parler à l’infirmière du lycée où je travaillais : que pouvais-je faire ? Je voulais être utile ! Pour elles, pour moi, je devais parler et témoigner. Je savais qu’ils organisaient des journées de sensibilisation à pas mal de choses, dont une à la violence dans le couple. Je pouvais témoigner, parce que je l’ai vécu, parce que je pouvais me mettre à la place d’une de ces ados ! J’avais l’image en tête de ce que font les américains dans les lycées, ces gens qui viennent témoigner face aux ados.

Mais on m’a répondu que c’était hors de question, qu’on ne pouvait pas mettre ainsi « en avant » sa vie privée, qu’on faisait appel à des « professionnels »…! Je me suis laissée faire en me faisant croire que c’était finalement dangereux, comme ils me le disaient, de m’ouvrir aux autres, de partager mon expérience… Mais malgré cela j’étais persuadée que si une jeune fille vivait ce que j’avais vécu avant elle, ce ne serait certainement pas un professionnel qui serait capable de l’atteindre !

Et surtout comment peut-on espérer changer les choses, améliorer les relations entre les êtres si l’on commence par penser que c’est « mal-placé » voire « dangereux » de s’ouvrir aux autres, de partager son expérience ??

Aujourd’hui, face à ce qui s’est passé la semaine dernière à l’Ecole Dynamique, je comprends la logique de l’Education Nationale. Cette logique de « professionnel » est la seule possible car il n’y a pas (ou si peu) de rapport d’humain à humain dans une structure éducative classique, rien que des rapports de prof à élève, d’adulte à enfant, de supérieur à inférieur. En installant dès le début une position de pouvoir sur l’autre, comment imaginer s’ouvrir, laisser place à la parole ? Laissons faire les « pros » !

Mais les pros ne vous toucheront pas, ils n’ont pas « vécu ». Ils vont vous parler de théorie, de froide théorie.

Ils ne vous raconteront pas le vécu, la peur, l’enfermement psychologique, le renoncement, le désespoir. Ils ne vous parleront pas avec vos mots, mais avec ceux des livres, des études.

Ce n’est pas la vie qui coule dans les couloirs des établissements scolaires traditionnels, c’est du rapport de pouvoir. Parce qu’on se fait tous croire qu’on a un statut à garder, que les rapports humains sont dangereux, que l’affectif n’y a pas sa place. Ou si peu…

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A la fin de notre heure de réunion-discussion, élèves et adultes étaient unanimes : « quel bonheur d’être dans cette école ! », « quel chemin je viens de faire en 1h à discuter avec vous ! », « je suis tellement heureux d’être ici ! »… 

La semaine dernière j’ai pris la mesure de ce que nous sommes en train de créer à l’Ecole Dynamique : une école où chacun est libre de vivre, éprouver, ressentir, libre d’être là avec sa sensibilité. 

Une école où on apprend l’empathie pas à travers de la théorie, mais par la vie même.

Je me suis beaucoup demandée comment je pourrais faire pour que ma fille ne puisse pas un jour tomber dans le même piège que moi. Mes parents ont toujours été des parents bienveillants, alors d’où m’est venue cette incapacité à comprendre que tout forme de violence est inacceptable, qu’il n’y a pas de compromis à faire dans la violence ? Comment transmettre cela à ma fille ? Aujourd’hui je l’ai compris : en la faisant vivre dans une école qui combat toute forme de violence !

Une école où, certes la violence peut être présente, comme partout, mais où on apprend à la combattre, à s’en défendre, une école où les enfants ont des RECOURS, peu importe leur sensibilité. Pour ne plus entendre « débrouillez-vous entre vous… », « ça va, t’es pas mort », « mais non tu n’as pas mal », « t’es vraiment trop sensible »

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6 réflexions sur “Derrière l’agression : la peur et l’hyper-sensibilité

  1. Merci Marie pour ce partage qui me touche tout particulièrement. Ce que nous construisons c’est un monde de paix et c’est en l’expérimentant que l’on sent combien c’est magnifique. 😀

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  2. Salut Marie

    Le processus que tu décris est quasiment le processus de résolution de conflit promu par la CNV de Marshall Rosenberg et avec lequel j’accroche 🙂
    1 Faits (bruts, objectif)
    2 Sentiments (comment les 2 parties ont ressenti le moment difficile)
    3 Besoins (Quels étaient les besoins réels fondamentaux, racines qui se sont mal très exprimés)
    4 Actions (Quelles actions concrètes ici et maintenant pour que chaque partie soit satisfaite)

    A mon avis ce n’est pas un hasard si un des très grand de la CNV Thomas D’Ansembourg est un ancien avocat…

    Regarde ce qu’initie cette école démocratique toute neuve aux Pays-Bas avec de la CNV :
    http://www.come2life.nl/nvc-at-school/?lang=en

    Sinon à l’éducation nationale, on parle de fonction (prof, …) à fonction (élève, …)
    et avec le langage bureaucratique (cf le 3e reich et l’amtsprache)

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  3. La communication est fondamentale pour désamorcer les conflits.
    Détailler les choses, ordonner les événements, définir les termes
    aident à clarifier, comprendre, intégrer, relativiser des actions,
    opinions, réactions. Le conflit (avant) ou la résolution du conflit (après)
    peuvent s’effectuer d’une façon plus ou moins ‘sage’, avec une parole
    plus ou moins haute, avec des gestes plus ou moins accentués. Etre le
    plus silencieux/sage/calme n’est pas nécessairement l’unique façon d’être.
    L’homme a un corps, une voix, un cerveau. Il ne peut être toujours raisonnable
    ni toujours en mouvement interprétable en agressivité relative. Les ‘interfaces’
    humaines n’ont jamais la même compréhension de chaque parole/geste ce qui
    entraîne des ‘tensions’, des ‘peurs’, des réactions exagérées ou inadéquates.
    Y faire face. Pas forcément dans un conseil de justice. Ces quelques lignes
    pour indiquer qu’une ‘hauteur’ de réaction ou la ‘coupure’ de parole n’est
    pas mal et doit continuer à exister dans les rapports entre les hommes.

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