L’école Dynamique est-elle conventionnelle ?

La question est provocatrice, et la réponse le sera encore plus. En bref : « oui ». Je trouve que notre approche est ce qu’il y a de plus conventionnel. Un rôle central d’une école est de permettre à ses membres d’apprendre de nouvelles choses sur le monde et sur eux-mêmes, et ce que nous avons mis en place dans notre école me semble être la manière la plus conventionnelle d’apprendre. C’est la manière tacitement admise comme étant la plus normale, et je dirais même que c’est réellement la seule manière d’apprendre.

Pour illustrer cela, réfléchissons à quelques compétences et connaissances que vous avez peut-être acquises récemment, et essayons de conscientiser au maximum ces expériences d’apprentissages :

  • Vous vous êtes amélioré dernièrement dans une pratique sportive, artistique, intellectuelle, manuelle ? –> J’imagine que c’est en vous entraînant, parfois seuls, parfois avec d’autres amateurs, parfois avec un enseignant. On apprend en pratiquant quelque chose qu’on aime avec des personnes qui partagent le même centre d’intérêt.
  • Vous avez eu une conversation avec quelqu’un au sujet des dangers des drogues ? –> Vous êtes maintenant au courant de plein de choses sur les drogues qui vous étaient totalement inconnues avant. On apprend en échangeant librement avec d’autres sur des sujets qui nous intéressent.
  • Vous avez pris conscience de l’ampleur des dégâts que causent les pesticides ? –> J’imagine que vous avez récemment vu le dernier « Cash Investigation » à ce sujet, et que vous avez maintenant connaissance de nombreux faits qui soutiennent un argument en faveur de l’agriculture bio et la permaculture. On apprend en se documentant sur des sujets qui nous intéressent, avec des ressources qui captivent notre attention.
  • Vous avez appris une deuxième langue ? –> J’imagine que vous avez passé un palier gigantesque durant le premier mois d’immersion que vous avez fait dans le pays où l’on parle la langue en question. On apprend en étant immergé dans un contexte qui nous permet naturellement d’acquérir des compétences fondamentales pour survivre et prospérer dans cet environnement.
  • Vous questionnez votre relation avec vos enfants et vous évoluez dans votre manière de les traiter. Vous avez par exemple complètement arrêté de leur mettre de la pression et leur crier dessus alors que vous le faisiez régulièrement ? –> J’imagine que si vous lisez ce blog, c’est que l’éducation est un sujet qui vous prend aux tripes et que vous avez une volonté de progresser là-dessus. On apprend en se posant des questions, en remettant en cause la tradition, l’autorité et ses propres croyances, en faisant parfois table-rase de ce qu’on nous a inculqué pour repartir sur d’autres bases.
  • Vous avez eu une révélation qui semble venir de nulle part ? –> J’imagine que vous n’étiez pas en train de faire quoi que ce soit de particulier, et c’est du plus profond de vos entrailles que cette épiphanie vous a amené à faire un pas de plus dans l’expansion de votre champ de conscience. On apprend, on évolue et on se transforme en se donnant de l’espace et du temps, et en laissant librement venir ce qui nous vient.
  • Vous vous êtes disputé avec quelqu’un ? –> Vous prenez conscience que vous n’êtes jamais arrivé au bout de ce merveilleux voyage qu’est la quête de sagesse, que votre ego a toujours une certaine emprise sur vous, et vous ravivez un engagement personnel entre vous et vous-mêmes pour continuer de vous améliorer dans vos relations avec les autres. On apprend en vivant la relation à l’autre et le conflit, et en tirant les leçons de chaque situation compliquée de la vie.

Je n’arriverai évidemment pas à cataloguer de manière exhaustive toutes les manières qu’on a d’apprendre, mais vous voyez à peu près où je veux en venir, non ? Vous apprenez tout le temps, que vous le vouliez ou non. On sent à quel point les apprentissages involontaires dépendent de la richesse et la qualité de l’environnement dans lequel on vit.

Et lorsque vous voulez intentionnellement apprendre de nouvelles choses dans un domaine qui vous intéresse, c’est habituellement une expérience couronnée de succès. On sent à quel point les apprentissages volontaires, pour qu’ils soient efficace, dépendent d’une motivation intrinsèque de l’apprenant. Peut-être serait-il aussi possible d’acquérir c’est mêmes compétences, connaissances et sagesses à l’aide d’un parcours d’enseignement obligatoire, mais ne sentez-vous pas que cela rendrait la tâche plus difficile et le résultat plus incertain ?

IMG_20160112_135218370

Je vous propose une expérience de l’esprit. Imaginez que, dès demain, vous commenciez à vivre une année sabbatique dont le but affiché serait « d’apprendre de nouvelles choses »… J’imagine que vous allez pratiquer vos centres d’intérêts, voyager, faire des rencontres, approfondir vos recherches dans les sujets que vous aimez, lire, regarder des documentaires, faire le point sur votre vie, chercher le sens de tout ça, etc. Ou alors est-ce qu’il vous viendrait en tête de faire une année à l’université, en faisant confiance qu’un programme établi par le monde académique saura satisfaire votre soif d’apprendre ? Peut-être bien, mais cela me semble devenir un choix de moins en moins conventionnel.

Inspiré des travaux de Ken Robinson et John Taylor Gatto, j’ai écrit ce billet l’année dernière, où je fais un récit de l’Histoire de l’éducation standardisée depuis le milieu du XIXème, ayant été conçue comme mère et fille du système de production industrielle et de compétition économique internationale. On a maintenant bien dépassé le stade du « secret de polichinelle » et nombre d’intellectuels, dont Edgar Morin, sont d’accord pour dire que la standardisation de l’éducation est à présent inadaptée, et qu’on le veuille ou non, on est probablement à l’aube de bouleversements radicaux dans ce domaine.

Lorsque je visualise ce futur bouleversement, il ne m’est jamais arrivé d’imaginer un politicien arriver sur une scène et dire « ça y est, je vous propose qu’on entre maintenant dans l’âge d’Or. A partir de demain, on décentralise, on décloisonne, on lâche-prise, etc. » J’ai toujours imaginé une première étape consistant en la naissance d’un bouleversement à l’intérieur du cœur des individus. J’imagine ces (r)évolutions intérieures croître à un point où nous serons en tel décalage par rapport à la pratique éducative traditionnelle que ça ne pourra plus tenir. On se rapproche d’une rupture, d’un point de bascule inévitable, car pour nous sentir bien, nous avons besoin d’harmoniser nos mondes intérieurs avec le monde extérieur.

J’ai l’impression qu’il suffit de peu pour accueillir sereinement une telle (r)évolution en soi, ou au moins relativiser les choses quand on la voit se produire chez d’autres. Les familles choisissant notre école doivent parfois répondre aux questions anxieuses de leur entourage du genre : « comment va-t-il passer le bac alors qu’il n’apprend rien ? ». J’aimerais leur apporter à tous ce début de réponse : comment apprenez-vous ? Serait-ce possible que les enfants soient en fait des personnes qui apprennent comme nous ?

En travaillant sur cette question avec sincérité, il me semble qu’on peut se sentir tout de suite plus à l’aise : l’école Dynamique est déjà une école conventionnelle.


4 réflexions sur “L’école Dynamique est-elle conventionnelle ?

Répondre à Ramïn Farhangi Annuler la réponse.