« Oui, mais… vous avez mis vos enfants dans une école publique ? »

Oui : moi, Marie Gervais, membre de l’équipe de l’Ecole Dynamique et responsable de ce blog, j’amène tous les matins mes enfants à l’école publique du quartier… (enfin non : c’est mon mari., moi je vais prendre le RER pour aller à l’Ecole Dynamique).

Si je me décide à publier cet article c’est que je sais que beaucoup de lecteurs de ce blog souhaitent connaître le pourquoi du comment… Et quand on reçoit des gens à l’école, j’ai droit à coup sûr à cette question, et je la trouve parfaitement normale !

 « Nan mais allo quoi ?! Elle travaille à l’Ecole Dynamique et ses enfants sont à l’école publique ? »

Sur cet intermède anti-culturel, je vais donc tenter de démêler ce paradoxe qui me déchire un peu + tous les jours : je fais le grand écart. Ce n’est pas facile, il ne se passe pas un jour sans que je me torture l’esprit, encore et toujours.

Je trouve donc essentiel de m’exprimer pour une fois ici en tant que maman, et non plus juste en tant que membre de l’équipe. Comment est-ce que je vis cette situation ? Pourquoi mes enfants ne sont-ils pas avec moi à l’Ecole ? Pourquoi ai-je choisi de les laisser dans le système public (pour le moment, en tout cas…) ?

Ecole Dynamique novembre-1

(me voilà avec ma tasse de thé lundi dernier – c’est le problème du photographe, c’est toujours lui qui n’apparait jamais sur les photos ;))

Les semaines passées j’aurais pu arguer de 2 raisons : la distance… et le papa. Le papa qui cheminait beaucoup plus lentement que moi sur cette belle route de la libération, du déconditionnement, de la déconstruction, du lâcher-prise. Et c’est normal : pendant tous ces mois je me suis gavée de lectures et réunions de discussion pour créer cette école, lui n’avait que les bribes de ce que je lui racontais…

Maintenant que le papa a définitivement quitté le côté obscur de la Force (même s’il a encore des questions en suspens.. mais ça c’est normal) et qu’il a compris que ses enfants seraient parfaitement épanouis dans une école comme l’Ecole Dynamique :D, il ne reste que :

La distance : j’habite à 1h15 de l’école, en transport de commun. 1h15 porte à porte minimum, c’est-à-dire quand le RER est de bonne humeur, quand il n’y a pas « d’accident voyageur », quand il ne neige pas, quand le tramway n’a pas de « passager malade » et quand les employés de la RATP ont décidé de ne pas pourrir par surprise la journée de dizaines de milliers de voyageurs quotidiens. Sans compter les RER bondés pour rentrer, la chaleur, l’obligation de rester debout, etc… Je ne suis pas sure de vouloir faire vivre cela à mes enfants de 8 et 10 ans quotidiennement. Leur papa est encore plus sûr de cela que moi.

A cause de cette distance, le papa ne peut pas les emmener à ma place car il travaille lui aussi (et oui) et ce n’est pas du tout sa direction… (et hors de question de les laisser y aller seuls via le RER !), donc si l’un d’entre nous 3 est malade, les 3 manquent l’école… Lors de nos réunions d’équipe le soir, ils devraient rester avec moi possiblement tard. Bref : pas très positif côté autonomie 😦

Voilà. Une « bête » question pratique… Dans un sens ça paraît très c.., comme obstacle, mais dans l’autre sens ça n’est pas rien. C’est fatigant déjà pour moi, alors pour des enfants de 8 et 10 ans ?

***

Quand j’ai commencé l’aventure de l’Ecole Dynamique il y a quelques mois, mes enfants trouvaient ça sympa, mais sans demander explicitement de rejoindre l’école dès son ouverture.

Je précise du coup d’emblée qu’ils ne s’étaient JAMAIS plaints de leur école.

La première raison est que chacun voyait jusque là ses besoins comblés : mon fils a besoin de travailler en autonomie et d’un lien affectivement fort avec l’instit : il a toujours eu la chance d’avoir des instit, homme et femme, attentionnés et plein d’humour (et qui, du coup, comprenaient son humour à lui… ce qui est loin d’être le cas de tous les adultes qu’il croise 😦 ), et qui, lui faisant confiance, lui laissaient assez d’autonomie pour faire sa petite vie dans les moments « creux ». Ma fille, elle, avait jusque là besoin… de ses copains et copines. Si l’entourage va, tout va.

A part quelques petits remous de temps en temps (mon fils qui s’ennuie de + en +, n’a pas d’amis et ne comprend pas l’intérêt d’apprendre des trucs « aussi faciles », et ma fille qui ne comprend pas pourquoi elle n’a pas le droit de parler quand elle en a envie – cad tout le temps- et pourquoi elle n’a pas le droit d’aller aux toilettes quand elle veut (!!!!!)), tout roulait sans plaintes ni à-coup.

Sauf que… sauf qu’arrive sur le tapis la seconde raison.

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(mon fils et L,15 ans, un élève de l’ED, lors du Cardboard Challenge à l’école, le 10 octobre)

Et je suis sûre que certains d’entre vous auront senti où je vais en venir…. Il semblerait en effet que, même si nos enfants ne se « plaignent » pas, même s’ils ne semblent pas souffrir de ce système, dès qu’une porte s’ouvre, les esprits s’éveillent… « Et si j’avais la possibilité d’apprendre autrement, dans d’autres conditions ? ». Et dans la tête de nos enfants, c’est comme un petit feu qui s’allume, et prend de l’ampleur : comme s’ils s’éveillaient et découvriraient, PARCE QUE C’EST POSSIBLE AILLEURS, que ce qu’ils vivent au quotidien, sans se poser de questions depuis des années « parce que c’est comme ça », n’est pas du tout ce qu’ils ont envie de vivre…

Ont-ils conscience de ce qu’ils vivent à l’école…? Ont-ils conscience de ne pas y être épanouis, ont-ils conscience qu’ils pourraient y être épanouis, dans de bonnes conditions, qu’ils pourraient avoir ENVIE d’aller à l’école chaque matin, et non d’y aller par défaut, « parce que c’est comme ça », comme entraînés par un tapis roulant invisible ?

N’est-ce pas horrible, de se dire que certains de nos enfants souffrent à l’école, et qu’ils trouvent ça normal car ils pensent qu’il n’y a pas d’autre solution, et la vie d’enfant, pendant les années d’école, c’est uniquement ça ??

L’enfant est-il en mesure de savoir ce qui est bon pour lui, lorsqu’il est déjà immiscé depuis plusieurs années dans les rouages du système de l’instruction publique, où tout est décidé pour lui ? Est-il capable de se dire que l’Ecole Dynamique serait meilleure pour lui, puisque l’école publique le transforme depuis la maternelle en être soumis et docile, comme l’allégorie de la grenouille qui cuit sans s’en rendre compte, s’endormant dans une eau de plus en plus chaude ? « Jusqu’ici tout va bien… jusqu’ici tout va bien… jusqu’ici tout va bien… »

C’est une grande question… à laquelle je ne sais toujours pas répondre… ! (désolée)

Et vous, en êtes-vous capable ?

***

L’argument qui a été le plus percutant à mes yeux (et merci à mon mari de me l’avoir glissé à l’oreille un jour, car étrangement, je ne me l’étais jamais demandé…) c’est vraiment ça : s’ils ne se plaignent pas de leur école, y sont-ils pour autant épanouis ???

Alors justement, je vous propose un jeu (potentiellement explosif, je vous aurai prévenu :D) : parlons à nos enfants, parlons avec nos enfants. Expliquons-leur comment fonctionne l’école publique, et comment fonctionnent les autres écoles. Proposons-leur de faire des listes de ce qu’ils aiment à l’école, et de ce qu’ils n’aiment pas. Les résultats peuvent être surprenants… Par exemple, ma fille en CE2 n’y aime pas :

  • les punitions collectives (toujours pratiquées alors qu’elles sont interdites par la loi !!)
  • le système du soleil et des nuages (un baromètre hebdomadaire lié à leur attitude…argh)
  • ne pas s’asseoir où elle veut
  • devoir supporter son voisin de classe bruyant sans avoir aucun recours contre ça
  • ne pas avoir le droit d’aller aux toilettes quand elle veut (et donc se retenir)
  • ne pas avoir le droit d’aller à la bibliothèque quand elle veut
  • ne pas avoir le droit de lire des livres quand elle veut (c’est un comble, pour une école)
  • le « chaque jour compte » (un rituel du matin pour apprendre les jours)

Mais elle y aime :

  • la récré
  • écrire
  • travailler (!)
  • lire
  • quand la maîtresse lit un livre
  • apprendre les maths
  • apprendre les sciences&techniques le mercredi
  • le bac à sable (et oui, une école qui n’a pas encore banni le bac à sable et autorise les enfants à y creuser !)

Mon fils, quant à lui, s’y ennuie fortement en CM2, de + en +. Cet ennui qu’il subissait sans rien dire jusqu’ici commence à devenir pesant, au point de le faire désormais s’interroger : à quoi ça rime de faire « des trucs de bébé », de répéter ce qui a été vu l’année dernière ? Pourtant il aime apprendre, au contraire ! Et lui aussi se plaint de ne pas pouvoir aller aux toilettes pendant la classe (d’ailleurs j’entends beaucoup d’enfants s’en plaindre, et je trouve ça choquant qu’on leur refuse ce droit !!!!)

***

Mes enfants connaissent l’Ecole Dynamique, ils savent ce que j’y fais, ils entendent le quotidien des élèves que je leur raconte, ils en connaissent les rouages, via le Conseil de Justice et le Conseil d’Ecole. Ils y ont passé une journée le mois dernier (une journée d’école buissonnière, chuuuut) et y repasseront une nouvelle journée très bientôt (chuuuut #2)

Jusque là j’attendais que tout cela fasse son bout de chemin dans leur tête. Mais depuis la journée qu’ils y ont passée, ils voient désormais leur école d’un autre oeil… d’un mauvais oeil… et ce bout de chemin que j’attendais qu’ils fassent est arrivé à la vitesse de l’éclair, vu qu’ils ne parlent désormais plus que de ça… et que tous les matins, c’est tentative de putsch : « je ne veux pas aller à l’école, je veux aller à l’Ecole Dynamique ! Je veux faire ma période d’essai maintenant ! »

Très (très très ?) bientôt, dès qu’on aura démêlé avec le papa cet obstacle de la distance, vous n’aurez donc plus à me poser la question : « mais… pourtant vous avez mis vos enfants dans l’école publique ? » !

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4 réflexions sur “« Oui, mais… vous avez mis vos enfants dans une école publique ? »

  1. Merci Marie pour ce témoignage ! Déchirement intime dans notre sensibilité de maman, entre nos convictions (et ce qu’on met en place) et ce que nos enfants vivent quotidiennement à l’école…
    J’ai aussi témoigné récemment de ce sentiment « mélangé » dans le billet écrit à (puis publié par) Bernard Collot : http://education3.canalblog.com/archives/2015/11/02/32868905.html?fb_ref=Default
    Au plaisir :o) Caroline (Spa, Belgique)

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  2. Oui merci Marie pour ce questionnement, qui m’a taraudée aussi. Parce que nous, nous sommes convaincus que c’est bien, mais eux ? S’ils sont bien ? moi ce sont les enfants qui m’ont aidé à y répondre.

    Ma fille, en 4ème section internationale, suivait très bien (1ère de classe) et semblait « être bien ». Je dis « semblait » parce que même sachant ce que je suis en train de faire (monter la même école ici) elle n’a pas souhaité y venir. Je n’avais pas en tête de l’y contraindre. Puis elle m’annonce qu’elle ne fera plus d’activités extra scolaires cette année car trop de devoirs ! (j’ai pas aimé l’idée et je commencais à ruminer sérieusement…) Enfin, après plusieurs semaines d’écoute de nos conversations autour du sujet, elle a commencé à me poser des questions précises au sujet du planning, du temps en général, des activités, des profs et des possibilités qui ainsi se dressaient devant elle etc, et m’a finalement annoncé qu’elle souhaiterait bien y entrer !

    Mon fils, même section mais en 6ème, n’a jamais accroché avec le système classique malgré de bonnes notes et a sauté, lui, sur l’occasion pour en sortir ! 😉

    Ce qui s’est passé entre temps, c’est que ma partenaire de projet a été plus ou moins contrainte de déscolariser sa fille (dans la classe de mon fils) qui ne supportait pas la pression et somatisait. Et j’étais en train de lire le nouveau Nexus avec de très bons articles au sujet de « vivre sans école » et enfin j’ai pu voir le film « être et devenir » cet été ! L’un dans l’autre, tout ca m’a montré à quel point le système classique n’avait rien d’épanouissant pour les enfants. Et déjà convaincue par Sudbury pour cette création d’école, j’ai fini, après discussion avec leur papa (nous sommes séparés), par les déscolariser depuis lundi dernier ! 🙂

    Bien que l’administration du collège supporte très mal ce genre de décisions 😉 je ne regrette pas ce grand pas ! Je ne me vois plus leur imposer quelque chose qui n’est pas là pour les laisser s’épanouir. Et quand je repense au petit groupe de collégiens que je covoiturais, et que j’interrogeais à l’improviste avec « que penseriez vous d’une école sans classe, sans cours, sans notes ? », les réponses me font encore mal :
    – comment on sait qu’on est bon alors, s’il n’y a pas de notes ? (réponse d’une 3ème)
    – mais on n’apprend rien alors ? (réponse d’un 3ème)
    – c’est cool on peut apprendre ce qu’on veut alors ? (réponse d’un 5ème)

    Ca fait mal de voir qu’à à peine 14 ans, leur seul guide et référence soient des notes ! qu’apprendre ca n’est que du savoir mais pas du savoir faire et encore moins du savoir être ! et que l’envie d’apprendre est là, mais frustrée, à 11 ans déjà ! Alors oui je te rejoins Marie, je trouve horrible qu’ils soient glissés lentement mais surement dans cette grande casserole où la température de l’eau monte inéxorablement !….pour en faire des êtres « lavés » de ce qu’ils avaient de plus beau en eux ! Je regrette de ne pas avoir pris cette décision plus tôt en fait, aujourd’hui, même si je sais que j’ai eu besoin de ce temps pour pouvoir sortir de mes propres rails bien posés et voir moi même qu’il y avait d’autres alternatives.

    Au final, cette semaine, mon fils a passé son temps sur un nouveau jeu d’électricité (monter des circuits électriques, des interrupteurs, des diodes etc) et ma fille s’est mise à la patisserie et n’arrête plus les puzzles (1000 pièces e t+) alors qu’elle n’était pas du tout patiente !!!! c’est très agréable de rentrer à 16h et d’avoir un brownie tout fait qui embaume la maison et de mettre les pieds sous la table….sans oublier les étincelles dans ses yeux de présenter LE brownie qu’elle a fait « complètement toute seule » et qui était délicieux ! 😉 Au delà de ca, ils font plein de projets, ont des idées à foison et ont récupéré une belle légèreté d’être ! et moi, je réalise à quel point, même si j’en étais déjà consciente, nos vies étaient rythmées quasi uniquement par l’école et mon travail. Là aussi d’autres perspectives s’ouvrent….

    Et comme disait une ado dans un documentaire « tout le monde sait que l’école c’est pas la vie, mais moi, ma vie, c’est l’école. donc il y a qq chose qui ne tourne pas rond ! » oui c’est ca, ca ne tourne vraiment pas rond !…. alors oui j’ai hâte de pouvoir offrir très vite, grâce à notre belle équipe, cet univers également à d’autres enfants ! En tous les cas, nous ferons tout pour 🙂

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    1. Pour Sandra pour ton témoignage !!

      J’ai la même expérience avec des ado. J’encadrais un groupe de lycéens devant réfléchir à « une autre école ». J’ai commencé en leur disant « imaginons que l’école n’ait jamais existé et que nous devons la créer : c’est-à-dire créer un endroit où les enfants se retrouvent entre eux, pour apprendre ». J’ai bien insisté sur le fait de sortir des sentiers battus et surtout de cette image que l’école = 1 table et 1 chaise, 1 enseignant, 1 classe.
      Qu’ont-il proposé, entre autres ? De raccourcir les vacances… pour pouvoir faire enfin rentrer le programme dans l’année scolaire !!!
      Chaque idée qui sortait un tant soit peu du lot était vite moquée ou balayée par les autres élèves, même pour des trucs aussi simples que « faire la classe dehors – de temps en temps-« … Une élève voulait proposer de revenir à l’uniforme, pour briser la spirale des jugements, de l’argent, de la pression de la mode, etc. Ca se défend, mais elle n’osait même pas faire entendre sa voix.

      Ils ont été totalement incapables de sortir de ce paradigme de l’école = 1 adulte qui enseigne, entre 4 murs, avec des horaires et programmes fixés d’avance.
      Je ne leur en veux pas évidemment, il aurait fallu + de temps, + de préparation en amont, mais j’ai trouvé ça très triste…

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